Le nouvel arrêté du Ministère repose sur un avis de l’Anses très discutable.

Le nouvel arrêté de lutte contre le charançon rouge des palmiers (CRP) du ministère de l'Agriculture, en date du 25 juin 2019, repose sur un avis de l’Anses très discutable*. Cela apparaît clairement une nouvelle fois dans la réponse que M. Roger Genet, directeur général de l’Anses, a adressé à Madame le Sénateur Jacky Deromedi.

* Lire notre article précédent sur ce sujet "Commentaires sur le rapport de l’Anses concernant les stratégies de lutte contre le charançon rouge du palmier"

 

1. Le DG de l’Anses prétend que son agence a évalué « scientifiquement » les différentes stratégies de lutte contre le CRP.

Les experts de l’Anses ont évalué scientifiquement les différentes stratégies de lutte mais de manière essentiellement théorique et par ailleurs dans le cadre d’une démarche méthodologique fondamentalement imparfaite.

En effet, la démarche dite de gestion intégrée des ravageurs, démarche qui, depuis plus de dix ans, est d’ailleurs devenue obligatoire, ne structure à aucun moment leur analyse. En conséquence, la prévention, base de cette démarche et qui dans le cas du CRP signifie la détection précoce des palmiers infestés afin de procéder à leur assainissement et éviter la multiplication et la dispersion du ravageur est totalement absente de leur rapport ! C’est pourtant un aspect dont l’importance est soulignée dans les rapports de la FAO sur lesquels les experts de l’Anses assurent appuyer leurs conclusions. L’absence complète de référence à la détection précoce explique aussi qu’ils n’abordent jamais la question des traitements en relation avec le contrôle des populations de CRP. En conséquence, leur évaluation des traitements, en particulier sur les palmiers infestés, même si elle reposait sur des données expérimentales serait très limitée. En effet, à quoi sert-il par exemple d’abattre un palmier infesté quand il a déjà relâché tous les CRP qu’il contenait ?

Quant aux paramètres utilisés par les experts pour comparer les stratégies, les valeurs qu’ils leur ont attribuées sont passablement arbitraires, en particulier sur un point essentiel, l’efficacité des traitements. La littérature scientifique et technique qu’ils ont exploitée ne contenait en effet aucune donnée expérimentale sur ce point, comme ils le reconnaissent eux-mêmes. Par contre ils ont ignoré des articles, dont certains bien connus, qui fournissent des résultats sur cette question, et ils n’ont pas cherché à connaître les résultats pourtant obtenus à grande échelle par la Cavem.

Leur évaluation constitue un bel exercice de style mais aurait dû les amener à se montrer extrêmement prudent dans leurs conclusions. En fait, dans l’incapacité de fonder leur analyse sur des données réelles, ils auraient dû reconnaître qu’ils n’étaient pas en mesure de fournir un avis. Cela n’a rien d’infamant et c’est au contraire à l’honneur de scientifiques de reconnaître que bien souvent, faute de données, ils ne sont pas en mesure de répondre aux questions que leur pose la société.

 

2. Le DG de l’Anses prétend que son agence a démontré que « l’éradication n'est plus considérée comme possible en raison du coût économique qu’impliqueraient les ressources à mobiliser ».

Dans l’avis de l’Anses, les experts de l’Anses affirment de manière péremptoire et à plusieurs reprises avoir démontré que l’éradication serait impossible en zone méditerranéenne. En fait, cette démonstration n’existe à aucun moment dans leur rapport ! Ce qu’il présente comme la conclusion d’une analyse rationnellement fondée n’est en fait qu’une hypothèse a priori dont ils n’ont été nullement en mesure de fournir la validité scientifique.

 

3. Le DG de l’Anses prétend que considérer que l’éradication n’est plus possible en zone méditerranéenne est « en cohérence » avec les documents diffusés par la FAO à l’issue de la réunion de Rome en mars en 2017.

Dans aucun des deux documents de la FAO consultés par les experts de l’Anses, il n’est proposé d’autre option que l’éradication en appliquant des mesures sur l’ensemble des zones infestées, soit un objectif et une démarche totalement à l’opposé de ceux de l’Anses. La cohérence invoquée par le DG de l’Anses n’a aucun fondement.

Les experts de l’Anses dans leur rapport, comme le DG de l’Anses dans son courrier, attachent beaucoup d’importance à affirmer que leur conclusion sur l’impossibilité de l’éradication est cohérente avec celle de la FAO. Pour tenter de justifier cette affirmation, ils ne retiennent des rapports qu’ils ont consultés et dont les titres et le contenu n’évoquent pourtant d’autres options que l’éradication, qu’un seul passage. Celui-ci présente trois scénarios de lutte contre le CRP qu’ils interprètent en commettant un contresens évident.

Ces scénarios élaborés par les experts de la FAO (dont faisait partie Michel Ferry) n’avaient d’autre but que de présenter les conséquences à terme de trois types de programme en fonction des efforts qui leur sont consacrés. Ils ne prétendaient nullement définir les différents choix possibles entre trois options de lutte. Les experts de l’Anses ont néanmoins interprété l’un des programmes comme une option de lutte confortant leur conclusion sur l’impossibilité de l’éradication. Tout au contraire, les experts de la FAO ont souligné que ce que les experts de l’Anses ont interprété comme une option de lutte confortant leur proposition, n’était au contraire viable ni économiquement ni du point de vue environnemental.

 

4. Pour invalider l’option d’éradication, le DG de l’Anses croît aussi pouvoir s’appuyer sur l’évaluation faite par la FAO sur le manque d’efficacité des «mesures de lutte préventives et curatives mises en œuvre dans les pays européens malgré tous les efforts et ressources fournis par les organisations de protection des végétaux des pays infestés ».

Comment est-il possible que le DG de l’Anses ignore que les mesures de lutte préventives et curatives n’ont été mises en œuvre, au moins en France, qu’extrêmement partiellement?

Un simple déplacement des experts de l’Anses à Nice par exemple leur aurait permis de constater très facilement qu’une des mesures de base de la lutte contre le CRP, l’assainissement ou l’éradication des palmiers infestés, n’était pas, peu ou trop tardivement appliquée.

Est-il normal que l’Anses ignore que la DGAL n’a fourni aucune ressource pour faciliter la mise en œuvre de ces mesures ni même d’efforts efficaces pour les faire appliquer alors qu’elle les avait rendues obligatoires?

Comme souligné par la FAO, la raison principale en France comme ailleurs de l’échec de la mise en œuvre des mesures de lutte est l’absence, sous la responsabilité d’une autorité légitime proche du terrain, d’une organisation collective efficace de la lutte avec mobilisation de tous les acteurs concernés et en premier lieu les propriétaires de palmiers. En France, les services de l’Etat n’ont rien fait dans ce domaine. Or, à aucun moment, les experts de l’Anses n’identifient la question de l’organisation comme un aspect clef de l’échec ou de la réussite de la lutte contre le CRP. Pas étonnant dans ces conditions qu’ils ne proposent pour la zone Atlantique rien de mieux que le maintien à l’identique de l’arrêté antérieur, sans aborder la question de l’organisation. En l’absence de propositions sur cet aspect, l’échec qui s’est produit en zone méditerranéenne ne pourra que se reproduira dans cette zone, d’autant plus qu’elle ne cessera d’être envahie par des CRP venus de la zone contiguë où leurs propositions reviennent à laisser le ravageur sans contrôle.

 

5. Le DG de l’Anses prétend que son agence a conduit une analyse économique comparant « le coût des différentes stratégies ».

Comment des experts qui prétendent fonder leurs conclusions sur une analyse économique pourraient-ils laisser de côté le coût (sans même considérer la valeur patrimoniale des palmiers perdus) que représente l’abattage de palmiers qui se retrouvent infestés parce qu’ils n’ont pas été traités ? Les experts de l’Anses comparent des stratégies qui incluent des traitements curatifs et préventifs sur tous des palmiers ou seulement une partie d’entre eux. Ils en concluent que l’option la plus réaliste est de ne traiter qu’une partie des palmiers, sans réaliser que cela signifie que les palmiers non traités vont être infestés et devoir être abattus. En n’intégrant pas le coût des abattages dans leur calcul, ils commettent une erreur d’analyse économique évidente. Cela représente une telle faille qu’elle rend caduque leur analyse comparative entre stratégies et l’ensemble de leurs conclusions. Sans compter bien sûr, qu’ils ne fournissent aucune démonstration sur l’effet supposé que ces différentes stratégies auront sur la population de CRP (éradication, stabilisation).

 

6. Le DG de l’Anses prétend qu’en zone atlantique, à la différence de la zone méditerranéenne l’éradication est « envisageable » et « doit être d’actualité ». Il assure aussi que la France s’apprête à prendre de nouvelles mesures de lutte obligatoire, sur la base de l’avis de l’Anses.

Les soi-disant nouvelles mesures adoptées sur proposition de l’Anses par la DGAL dans le nouvel arrêté consistent à diviser la France en deux zones, une zone Atlantique et une zone méditerranéenne.

Mais, pour la zone Atlantique, la DGAL s’est contentée de suivre l’avis de l’Anses en fixant un objectif d’éradication et en adoptant les mêmes mesures que celles qui ont si magistralement échoué en zone méditerranéenne ! Viser l’éradication du CRP dans une zone alors que, dans la zone contiguë, on propose de le laisser pulluler constitue une aberration stratégique évidente.

Pour la zone méditerranéenne, la DGAL s’est appuyée sur « l’objectif pragmatique » proposé par l’Anses: concernant les municipalités « protéger des palmiers sélectionnés pour leur importance patrimoniale » avec le « remplacement des autres par d’autres espèces végétales » et, pour les particuliers, « protéger à une échelle réduite, un ou plusieurs palmiers ».

Nous avons déjà souligné combien un tel objectif revenant à n’appliquer la stratégie de contrôle intégré avec toutes ses composantes que sur une partie des palmiers était à l’opposé des recommandations de la FAO. Il est parfaitement illusoire d’espérer protéger des palmiers alors qu’autour on laisserait le CRP proliférer. Cela ne peut conduire à terme qu’à une impasse à la fois économique et environnementale : économique car les propriétaires de palmiers vont devoir dépenser de l’argent longtemps et de plus en plus ; environnementale car faute de traitement biologique capable de contrôler une population à croissance exponentielle de CRP, les propriétaires n’auront d’autre choix que de recourir à des traitements chimiques, sans d’ailleurs être assurés qu’ils se révèleront eux aussi suffisamment efficaces dans ces conditions.

Mais, reprenant à son compte l’objectif proposé par l’Anses, la DGAL a décidé d’amputer l’arrêté antérieur en supprimant l’obligation de traitements préventifs sur l’ensemble du territoire infesté. Cette obligation est remplacée par une mesure qui revient à laisser le choix aux communes d’appliquer ou non ces traitements. C’est seulement dans le cas où une commune s’engagerait à les appliquer que les particuliers de cette commune seront dans l’obligation de les appliquer à leur tour. Le nouvel arrêté place les communes et les particuliers prêts à appliquer ces traitements pour sauver leurs palmiers dans l’impasse insupportable décrite plus haut.