Beauveria bassiana intérêt limité contre le charançon rouge et risques pour les abeilles

 En résumé : Le Beauveria bassiana est un champignon que l'on trouve dans la nature et dont les propriétés insecticides sont connues depuis plusieurs décennies. Aujourd'hui, plusieurs souches ont été autorisées en tant que substance active dans des produits phytopharmaceutiques pour traiter les palmiers contre le charançon rouge. Leur efficacité en situation réelle sur les palmiers de plus de 2m de stipe est problématique compte tenu des difficultés, des contraintes et du nombre limité d'applications autorisées des produits. Par ailleurs, ces souches de Beauveria bassiana, sont considérées par les Experts européens de l'EFSA comme présentant des risques importants pour les abeilles domestiques et des risques d'allergie par voie cutanée et respiratoire par inhalation pour les humains. Son intérêt pour les propriétaires de palmiers, se limitera aux petits palmiers avec la contrainte de les faire traiter par un professionnel en l'absence des abeilles. Comment un risque important pour les abeilles selon les Experts européens de l'EFSA en charge de l'évaluation des risques  peut-il devenir un risque acceptable pour les membres du Comité permanent de la CE en charge de l'approbation de la souche 203 ? La volonté politique de trouver rapidement des substituts biologiques à certains insecticides chimiques ne doit pas se faire en biaisant l'estimation du bénéfice/risque des traitements mais au contraire en informant loyalement les propriétaires de palmiers.   La "mention abeille" que signifie t-elle ? 

 

Le champignon Beauveria bassiana est bien connu pour ses propriétés insecticides voir notre précédent article "Beauveria produit miracle ou poudre aux yeux".

Après l'approbation par la Commission européenne (Règlement d'exécution (UE) 2017/831)  de la souche 147 puis de la souche NPP111B005 de la société Arysta Lifescience, le 17 mai 2017 (Règlement d'exécution (UE) 2017/843) , celle de la souche 203 de la société espagnole Glen Biotech était attendue.

Par le Règlement d'exécution (UE) 2022/501 en date du 25 mars 2022,  la Commission européenne a donc approuvé  la mise sur le marché de la souche 203 du champignon Beauveria bassiana en tant que substance active pour le traitement des seuls palmiers ornementaux à partir du 19 avril 2022 selon les conditions décrites dans les annexes du document. Chacun des Etats de la CE pourra donc désormais délivrer une AMM (Autorisation de mise sur le marché) avec des dispositions au moins aussi contraignantes pour limiter les risques identifiés. Cette approbation se fonde sur les conclusions du rapport final du Comité permanent de la Commission en charge des végétaux en date du 27 janvier 2022  Final review report for the active substance Beauveria bassiana strain 203 " qui lui même s'appuie sur le rapport d'évaluation des Experts de l'EFSA (*) en date du 6 octobre 2020  Peer review of the pesticide risk assessment of the active substance Beauveria bassiana strain 203 .

(*) EFSA  European Food Security Agency : c'est l'Agence européenne pour la sécurité des aliments dont les missions sont équivalentes à celles de l'Anses en France.

 

 

Pour mémoire, une AMM (Autorisation de mise sur le marché) dérogatoire d'urgence de 120 jours (**) avait déjà été donnée en France par la DGAL (Ministère de l'Alimentation et de l'Agriculture) le 26 juin 2018 à la demande de FREDON-Paca, pour le  produit commercial PHOEMYC+ de la société Glen Biotec (devenue Symborg) dont la substance active est la souche 203 du Beauveria bassiana. Cette  AMM dérogatoire d'urgence n° 2189997a été renouvelée  jusqu'au 22 août 2022. On notera que cette nouvelle version s'est enrichie de quelques contraintes supplémentaires concernant les risques pour l'environnement et en particulier pour la protection des abeilles, mais ne mentionne toujours pas explicitement la dangerosité du produit pour les abeilles, soulignée par les Experts de l'EFSA dans leur rapport d'évaluation disponible depuis le 6 octobre 2020 (voir ci-dessous) !

 

Cette AMM "120 jours", valable uniquement pour traiter les palmiers d'ornement ( Phoenix, Washingtonia, Chamaerops, Trachycarpus)  précise, entre autres, dans les conditions d'emploi  : 2kg au maximum par application et 3 applications maximum par an pendant la période d'activité du charançon rouge. Dans cette version, elle préfigure très certainement l'AMM qui sera finalement délivrée par l'Anses pour la France.

 

- Pour la protection de l'opérateur et du travailleur : le port des gants et des vêtements de protection pendant toute la phase d'utilisation de la préparation. Délai de rentrée 6h. On ne comprend pas très bien pourquoi le délai de rentrée ne concernerait que l'opérateur professionnel ! En zone urbaine, les piétons qui passeront à proximité ou les enfants qui joueront dans les parcs sous les palmiers auront tout autant de chance de respirer du produit qui sera dispersé par le vent et ce d'autant plus qu'ils ne seront ni prévenus ni équipés ! Un oubli très certainement car l'arrêté du 4 mai 2017 (art.1) mentionne que le délai de rentrée est la durée pendant laquelle il est interdit aux personnes de pénétrer dans les lieux.

 

- Pour la protection des organismes aquatiques : respecter une distance minimum de 5m par rapport aux points d'eau

 

- Pour la protection des oiseaux et des mammifères sauvages : récupérer tout produit accidentellement répandu.

 

- Pour la protection des abeilles : emploi autorisé au cours des périodes de production d'exsudats et durant la floraison, en dehors de la présence des abeilles. Par quel tour de magie, les abeilles qui se seraient cachées pour éviter les traitements pourraient-elles ne pas se retrouver ensuite en contact avec le produit pendant sa durée de persistance !

 

- Pour l'application du produit : déposer les granulés aux insertions des feuilles et des rejets des palmiers. Une remarque : ce n'est pas à l'insertion des feuilles sur le stipe qui est inaccessible aux charançons adultes mais dans la zone dégagée du pétiole des palmes centrales que l'insecticide doit être déposé pour être efficace. C'est dans cette zone qu'ils s'abritent et que les femelles viennent pondre. C'est à l'insertion des feuilles que précisément se développent les inflorescences mâles qui peuvent attirer les abeilles. Celles-ci sont courtes et sont enfermées dans une enveloppe (spathe) qui s'ouvre à un certain moment de leur développement. Si un traitement est effectué une fois les spathes ouvertes, les grains de riz, support de Beauveria, vont tomber sur l'inflorescence et dans la spathe. Les abeilles qui viendront les visiter se retrouveront alors en contact avec l'insecticide qui, selon l'EFSA, est mortel pour les abeilles. 

 (**) Les AMM dérogatoires d'urgence valables 120 jours peuvent être attribuées par les Etats membres suivant les termes de l'article 53 du Règlement (CE) 1107/2009

 

Les 3 souches 111, 147 et 203 qui sont donc maintenant autorisées par les autorités sanitaires présentent des caractéristiques qui sont communes au champignon Beauveria bassiana.

 En dehors du fait, comme nous l'avions souligné dans notre article précédent que le produit est extrêmement difficile à appliquer correctement pour les grands palmiers Phoenix canariensis et qu' il ne peut atteindre les larves qui se trouvent protégées à l'intérieur des tissus sains du stipe, la question qui pose problème est bien celle des conditions d'emploi en particulier pour assurer la protection des hommes, des animaux et en particulier celle des abeilles. Le rapport bénéfice/risque pour traiter les grands palmiers apparaît donc assez faible .

 

1) Le champignon ne peut-être efficace contre le charançon rouge que par contact.

Son efficacité peut-être aisément prouvée en saupoudrant des larves et des adultes dans une coupelle de laboratoire, elle est par contre beaucoup plus difficile à démontrer en condition réelle sur des grands palmiers ( plus de 2m de stipe) ! L'article de Güerri-Agulló et al 2011 ( Florida Entomologist, 737-747) est le seul résultat publié. Il montre que la différence entre le taux d'infestation entre les palmiers traités avec la souche 203 et celui des palmiers non traités n'est pas significative au bout de trois mois.

Par ailleurs les larves restent protégées à l'intérieur des tissus sains du palmier dont elles se nourrissent du suc et ne se promènent jamais sur les palmes à l'extérieur. Leur contact avec le champignon ne peut donc être que fortuit. Affirmer que le produit s'attaque à tous les stades de développement du CRP c'est sans doute vrai en laboratoire mais fallacieux pour la grande majorité des propriétaires de palmiers.

La documentation commerciale de la société Glen Biotech en date du 14 juillet 2019 concernant la souche 203 mentionne une réduction de 82% de la population des CRP après 3 traitements la même année dans les conditions des expérimentations homologuées sur des palmiers des Canaries. En cherchant un peu on trouve un autre document publié par cette société qui nous précise les  conditions des expérimentations qui  ont été effectuées sur des palmiers des Canaries de 1m de stipe ( la photo sur leur document confirme que ce sont des petits palmiers). La réduction de la population de CRP n'aurait donc été constatée que sur ces petits palmiers.

Pour être efficace contre les adultes, le produit doit être appliqué à la base des palmes, là où la femelle CRP viendra pondre ses oeufs. Il est très difficile de pouvoir atteindre cet objectif sur les Phoenix canariensis dont les stipes dépassent 2m de hauteur, cibles privilégiées du CRP, compte tenu de l'implantation hélicoïdale des palmes sur le stipe et des.défenses entrecroisées de ses pinnules acérées qui empêchent toute pénétration d'outils ou de perches pour déposer le produit avec une précision suffisante à moins d'avoir supprimé des palmes (rappelons que l'usage des drones est interdit).

pinnules 01

Le produit ne peut donc être appliqué que de façon très approximative, la plus grande partie n'atteindra pas ou très difficilement les bases des palmes sur ces grands palmiers et tombera au sol ou sera dispersée par le vent (ce risque étant moindre, sans doute, avec le produit Phoemyc + de Glen Biotech qui utilise des brisures de riz comme support) et devra être soigneusement ramassée ! Néanmoins, même dans ce cas, une partie des spores (conidies) entraînés avec les grains de riz peut parfaitement être  dispersée au moment de l'application).

Le nombre d'applications autorisées étant limité, il sera de toute façon nécessaire de faire appel à des traitements complémentaires avec des nématodes par exemple,  pour pouvoir protéger les palmiers. Ce qui renchérit sérieusement le coût annuel des traitements.

A noter que, dans son rapport visant l'approbation de la souche 203, le comité de la CE n'aborde à aucun moment la question de l'efficacité du produit pour contrôler le CRP en situation réelle. L'EFSA se contente de rapporter que  suivant les données soumises, pour l'utilisation prévue en Europe du Sud,  la souche 203 de Beauveria bassiana a une efficacité insecticide suffisante contre le charançon rouge du palmier.  Autant dire qu'elle n'a pas été contrôlée et que nous devons nous fier aux seules informations communiquées par la société, alors que pour toute autorisation d'un produit phytosanitaire nouveau, l'évaluation de l'efficacité est une exigence !

 

2) Risques liés à la production de toxines/métabolites secondaires par la souche 203

La documentation commerciale de la société Glen Biotech affirme "zéro résidus".

De leur côté les Experts de l'EFSA soulignent qu'aucune information satisfaisante n'a été fournie pour démontrer que, dans les conditions d'utilisation réelles, les toxines/métabolites secondaires produits par la souche 203 de Beauveria bassiana ou après son application ne se produiront pas dans les compartiments environnementaux à des concentrations considérablement plus élevées que dans les conditions naturelles.

Ils considèrent donc que l'évaluation ne peut être finalisée car ces informations leur sont nécessaires :
- pour déterminer le risque de toxicité lié à l'exposition des opérateurs, travailleurs, passants et résidents. Selon eux, ce risque ne peut-être écarté pour les opérateurs, les travailleurs, les résidents et les spectateurs ;
- pour évaluer la possibilité de contamination des eaux souterraines, des eaux du sol et en surface ;
- pour estimer le risque de toxicité, d' infectiosité et de pathogénicité pour les oiseaux, les organismes aquatiques, les vers de terre et les effets indésirables potentiels sur les micro-organismes du sol ;
- pour caractériser des dangers et les risques potentiels pour les organismes terrestres non ciblés, les poissons , les algues et les organismes aquatiques. 

Malgré tout, le Comité permanent conclut dans son rapport final qu'en limitant la production de beauvéricine à une concentration maximale de 80 microgrammes/kg pour la substance active lors de la fabrication du produit  aucune inquiétude particulière n'est à prévoir quant à la quantité de beauvéricine dans la substance active,  le risque serait donc acceptable en considérant :

21)  que l'utilisation limitée aux palmiers d'ornement n'entraînerait pas d'exposition alimentaire  ( ce qui est faux puisque certains palmiers d'ornement produisent, dans nos régions, des dattes qui sont consommables - voir les Butia par exemple que l'on trouve le plus souvent dans les parcs et jardins) ;

22) que l'application locale de macrogranules à la cime des palmiers garantira que les opérateurs, les travailleurs ou les passants ne seront pas affectés par les métabolites puisque ceux-ci ne pourraient se produire que si le Beauveria bassiana souche 203 était en contact avec l'organisme cible lequel réside dans le tronc des palmiers à traiter.  Ce qui est également faux car : - a) les charançons rouges adultes, contrairement aux larves se promènent sur les palmes à proximité du stipe et c'est d'ailleurs pour cela que le produit doit être appliqué à la base des palmes où les femelles viennent pondre ; - b) ce sont les larves qui se trouvent à l'intérieur du stipe/tronc et là, le Beauveria bassiana ne peut pas les atteindre car elles ne sont jamais à l'extérieur ! ) ;

23) que les Etats peuvent prendre des dispositions pour atténuer les risques tels que le port d'équipements de protection individuelle (EPI) et respiratoire (EPR).

Si ces équipements peuvent effectivement protéger les opérateurs et les professionnels contre les risques par voie cutanée et inhalation, ce ne sera pas le cas des spectateurs et des passants qui n'en porteront pas et qui seront exposés aux mêmes risques. A noter que dans l' AMM dérogatoire d'urgence n° 2189997 signée par la DGAL, le délai de rentrée ne concerne que les opérateurs et les travailleurs alors qu'il doit s'appliquer également aux spectateurs et aux passants.

 

3) Risques pour les mammifères

Dans leur rapport d'évaluation ; "Peer review of the pesticide risk assessment of the activesubstanceBeauveria bassianastrain 203 " en date du 6 octobre 2020, les Experts de l'EFSA estiment, suivant les informations déjà publiées, que les souches de Beauveria bassiana présentent un potentiel allergique et des propriétés sensibilisantes par contact cutané et par inhalation, mais aucun signe de toxicité, de pathogénicité ou d'infectiosité n'a été détecté lors d'une administration unique par voie orale ou intratrachéale. Ils estiment cependant que des études complémentaires sont nécessaires pour déterminer le degré de génotoxicité qui pourrait résulter de la formation de métabolites secondaires telles que la beauvéricine tant dans le produit même qu'après son application. En conséquence, l'EFSA préconise l'utilisation d'équipements de protection individuelle (EPI) et d'équipements de protection respiratoire (EPR) pour les opérateurs et les travailleurs afin de réduire l'exposition par voie cutanée et /ou par inhalation. Même remarque que §23 ci-dessus, le risque pour les passants et spectateurs subsiste donc !

Risque alimentaire :
compte tenu d'un risque possible que la beauvéricine se retrouve dans les dattes, les Experts estiment que l'usage doit en être restreint aux seuls palmiers d'ornements. On notera d'ailleurs que la dernière version de l'AMM 120 jours citée ci-dessus donne une liste limitative des palmiers d'ornement (Phoenix, Washingtonia, Chamaerops,Trachycarpus), le Butia (ou palmier abricot) entre-autres qui produit des dattes comestibles (fruits - confitures -vin) dans nos régions du Sud en serait donc exclu ?

En s'appuyant sur la documentation scientifique, les Experts estiment que le risque est faible pour les mammifères sauvages. Certes les tigres ne sont pas si fréquents dans nos parcs et jardins, mais les chats et les chiens ?

 

4) Risques pour  les oiseaux

les Experts soulignent le manque d'information concernant la toxicité,  l'infectiosité et la pathogénicité pour les oiseaux, l'exposition pouvant se faire par absorbtion des granulés sous forme de gravier ainsi que des insectes cibles infectés. Cependant ils estiment le risque faible en se fondant sur les données scientifiques disponibles pour les autres souches déjà utilisées.

Dans l'AMM 120 jours de la DGAL, on retrouve une disposition commune qui permet d'atténuer les risques pour les mammifères et les oiseaux avec l'obligation de récupérer tout produit accidentellement répandu (voir encadré ci-dessus).

 

5) Risques pour les abeilles

Le document de la société Glen Biotech concernant les conditions des expérimentations affirme " Against other insects. After the homologated trials carried out, it was assessed that Beauveria bassiana 203 does not act by contact against Apis mellifera (bee). Although high efficacy has been observed against other insect pests, especially weevils. Therefore Glen Biotech is immersed in the development of new applications of this new active substance, Beauveria bassiana 203 ". (Traduction.  "Contre les autres insectes. Après les essais homologués réalisés, il a été évalué que le Beauveria bassiana 203 n'agit pas par contact contre l' Apis mellifera (abeille). Bien qu'une efficacité élevée ait été observée contre d'autres insectes nuisibles, en particulier les charançons. Par conséquent, Glen Biotech s'est impliqué dans le développement de nouvelles applications de cette nouvelle substance active, le Bb 203").

La souche miracle qui ferait le distinguo entre les charançons et les abeilles n'a pas encore été trouvée !

Si le champignon est efficace pour tuer le charançon adulte (et ses larves dans des coupelles de laboratoire) il l'est malheureusement tout autant pour tuer les abeilles. Et c'est encore ce que disent les Experts de l'EFSA  dans leur rapport d'évaluation du 6 octobre 2020 concernant la souche 203 "Peer review of the pesticide risk assessment of the active substance Beauveria bassiana strain 203"  - (traduction d'un extrait du document) " ...L'effet du Beauveria bassiana souche 203 est constaté sur les abeilles ...des essais de différentes souches de Beauveria sur des abeilles en cage ont montré qu'il y avait une forte mortalité ... On ne peut pas exclure que les abeilles soient attirées par les inflorescences des palmiers en plein champ, .... il y a donc un risque élevé pour les abeilles domestiques."

 Les mêmes termes sont d'ailleurs utilisés que ce soit pour la souche NPP111B005 d'Arysta ou pour la souche 203 de Glen Biotech !

 

 

Comment la dangerosité avérée pour les abeilles domestiques, soulignée par les Experts de l'EFSA, devient un risque acceptable dans le rapport final du Comité permanent de la Commission en charge de la santé des végétaux ?

Par quel tour de passe-passe, le Comité permanent en charge des végétaux de la CE peut-il alors tirer la conclusion que ce risque est acceptable et comment la DGAL peut-elle ne pas mentionner ce risque dans son AMM dérogatoire d'urgence n°2189997 ?

Pour comprendre il nous semble important que le lecteur prenne connaissance d'un article publié par l'Institut de l'Abeille qui nous donne un éclairage très intéressant sur la façon dont la dangerosité de certains produits insecticides est signalée. Lorsqu'un produit est dangereux pour les abeilles , si le risque n'est pas gérable son autorisation est interdite en "plein champ", si le risque est gérable il pourra même, le cas échéant, bénéficier de la "mention abeille", sous réserve de dispositions qui permettraient donc de diminuer le risque pour le rendre acceptable !  Il s'agit donc, pour le demandeur de l'AMM, de trouver les arguments qui pourraient convaincre les membres du Comité permanent.  Ceux qui justifient sa décision d'approbation  sont mentionnés dans son rapport final :  DG SANTE 10298/2021 Final review report for the active substance Beauveria bassiana strain 203 (voir extraits ci-dessous avec traduction) :

 

220325 risque abeille extrait rapport final Bb souche203 Sante 10298 2021

 

a) Que les palmiers soient pollinisés par le vent plutôt que par les abeilles ne change strictement rien au problème du risque pour les abeilles qui seront attirées par les fleurs c'est d'ailleurs ce qu'écrivent les Experts de l'EFSA dans leur rapport : (traduction de l'anglais) .. S'il est admis que les palmiers sont considérés comme étant principalement pollinisés par le vent, cela n'exclut pas que les abeilles visiteraient les fleurs ...

b) En fait ce ne sont pas tous les Experts de l'EFSA qui mettent en doute les études disponibles sur la mortalité des abeilles mais l'Etat membre rapporteur qui présente la demande d'autorisation de la société Glen Biotech auprès de la Commission, dans le cas présent : Les Pays Bas. Pour conforter sa conclusion sur le haut risque de toxicité de cet insecticide, l'EFSA mentionne que des études ont également démontré une forte mortalité des abeilles avec d'autres souches de Beauveria bassiana. Il parait aberrant que le Comité n'en tienne pas compte ! Pour un produit chimique le principe de précaution aurait certainement prévalu mais pour un produit d'origine biologique .. .Ce genre de décision finira par décrédibiliser complètement les produits biologiques qui n'ont pas toutes les vertus, les utilisateurs doivent en être correctement informés !

 c) La floraison des palmiers des Canaries est très étalée depuis le printemps jusqu'à l'été, époque durant laquelle les infestations se produisent car elle correspond à des pics de vol. Aucun scientifique sérieux ne pourrait donc affirmer que "les infestations des palmiers par le CRP  se produiraient en dehors de la période de floraison ! Cette désinformation laisserait supposer qu'il n'y aurait donc pas besoin de traiter les palmiers en présence des inflorescences ! C'est en plus ignorer la réalité du terrain : les professionnels qui gèrent leurs chantiers de traitement ne peuvent pas savoir si les palmiers seront en fleurs ou pas ! Peut-être faudra t'il alors qu'ils prévoient aussi une pancarte "Interdit aux abeilles" !

d)  Le produit serait appliqué dans la couronne éloignée des fleurs, "rendant l'exposition des abeilles improbable".  Sur les grands palmiers, les attaque de charançons se font le plus souvent au niveau du faisceau de palmes sommitales. En supposant qu'on puisse atteindre le haut du palmier, la verticale sera très approximative et il y a toutes les chances pour que le produit se répande sur les couronnes plus basses et sur les inflorescences.  Il s'agit donc ici d'un voeu pieux d'autant plus irréaliste que les attaques latérales au niveau des couronnes hautes sont également fréquentes sur les Phoenix  ! Les différentes démonstrations publiques d'application du produit sur des grands palmiers que ce soit par drone ou par tout autre dispositif à partir du sol montrent qu'il y a plus de produit qui tombe n'importe où qu'aux endroits où il devrait être appliqué pour être efficace.

Les membres du Conseil permanent ont cependant retenu les quatre arguments qui n'ont aucun fondement scientifique pour décider que le risque pour les abeilles devait être considéré comme acceptable !

L'objectif affiché par la Commission européenne est de contribuer au développement de solutions biologiques. Cet objectif est parfaitement justifié mais que le Comité use pour cela d'arguments du style "fake science" est inadmissible et va là à l'encontre d'une autre mission que s'est fixée la CE qui est de lutter contre la "fake science".

Devenant acceptable, le risque devient donc gérable par les Etats membres qui imposeront des conditions telles que celle qui est mentionnée dans l' AMM dérogatoire d'urgence n° 2189997 délivrée par la DGAL à savoir : "traitement possible en dehors de la présence des abeilles" et le fabriquant pourra même se prévaloir ainsi de la "mention abeille" qui serait sensée indiquer normalement que "le produit est dangereux pour les abeilles" mais compris par la majorité d'entre nous à contre sens !  Au Lobby qui a trouvé cette astuce pour tromper les gens : chapeau !

Nous conclurons que malheureusement, si le Beauveria bassiana a pu permettre à certaines villes qui semblent ne s'être guère préoccupées des risques  pour les abeilles et l'environnement, de conforter leur politique dogmatique zérophyto de façade, nous craignons fort qu'il ne permette même pas de sauvegarder les Phoenix canariensis patrimoniaux du bassin méditerranéen qui subsistent encore.

En traitement préventif, le Beauveria bassiana nécessite de 3 à 7 applications autorisées par an suivant la substance active utilisée et  plusieurs traitements complémentaires avec des nématodes en fonction du niveau de température ambiante. Les contraintes et le coût des traitements ne permettra pas son utilisation en lutte collective qui reste la seule stratégie possible pour réduire la population de charançons de façon efficace et espérer sauver les palmiers. Un espoir qui s'évanouit de jour en jour depuis l'arrêté du 25 juin 2019 !